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aboyer comme il ne l’avait pas fait jusque-là. « Crois-moi, me dit Ève, il y a sûrement quelqu’un dans cette forêt. C’est un ami que va nous ramener Misère, car son aboi est joyeux. » Je regardai Ève ; je vis que son sein légèrement battait comme si elle aspirait à la fraternité d’un être inconnu. Aussitôt mon âme farouche d’homme solitaire s’endurcit. « N’est-ce point assez de toi et moi dans cette forêt ? Qu’il s’en aille, celui-là, à moins qu’il ne veuille connaître le plomb de ma carabine. » Si un homme dans ce moment avait mis son ombre sur le chemin, je l’aurais coulé bas comme une des bêtes du bois. Elle me dit avec une voix de doux reproche : « Tu étais un tendre époux pour moi et à présent tu me parles comme un maître outragé. Si c’est vraiment un ami au devant duquel a jappé joyeusement Misère, peux-tu défendre à cette bête d’avoir un cœur plus accueillant que le tien ? » Je m’humiliai, honteux de ma colère, car après tout elle avait dit là une parole sage. « Voilà, Ève, nous avons versé le sang innocent et maintenant je parle