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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Et, sur ses derniers jours, dans ses décrépitudes,
Comme une harpe où tremble un vieux lambeau d’accord,
On croyait voir, au vent des vieilles solitudes,
               Ses rameaux frissonner encor.

Et lorsque le géant quatre fois centenaire
Courba sa tête où tant de soleils avaient lui,
Ce fut triste : on comprit que c’était toute une ère
               Qui disparaissait avec lui.

Ô frêne ! ô grand témoin des choses envolées !
On a sacré, depuis, le sol où tu tombas ;
Et sur ta place vide, en bruyantes mêlées,
               Des enfants prennent leurs ébats.

Oui, des enfants, des jeux, des rires, des fronts roses,
À l’endroit même d’où, colosse aux flancs rugueux,
Tu vis se dérouler, en tes ennuis moroses,
               La noble histoire des aïeux !

Des cris de joie, après le vol des oriflammes,
Le clairon, les obus et le tambour battant ! . . .
Si comme l’être humain les arbres ont des âmes,
               Ô grand mort, n’es-tu pas content ?

Pour moi, quand, de l’antique enclos des Ursulines,
Pour la première fois, tout ému, j’entendis
Monter ces voix d’enfants, fraîches et cristallines
               Comme un écho du paradis,

Soudain, sous les arceaux dépouillés du vieux frêne,
Longue chaîne héroïque évoquée à la fois,
Il me sembli revoir passer l’ombre sereine
               Des saintes femmes d’autrefois !