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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Avril, le roi superbe, y célébrait sa fête :
Le cerisier, vêtu de blanc jusques au faîte,
Splendide et glorieux, fleurissait le premier.
Puis, quelques jours après, le robuste pommier
Couvrait ses bras noueux de rieurs roses et blanches.
Et l’hymne des oiseaux éclatait dans les branches,
Tandis que, dans le pré lumineux et charmant,
S’éveillait un confus et chaud bourdonnement.

Ô fête incomparable en sa magnificence !
J’étais envers le Ciel plein de reconnaissance
De ce qu’il eût permis qu’au cœur de la cité
Son œuvre étincelât dans toute sa beauté,
Et, passant chaque jour, je retrouvais en elle
Le Dieu qui prête aux fleurs sa splendeur éternelle.

Aujourd’hui, j’ai revu le verger que j’aimais.
La main de l’homme, hélas ! la détruit pour jamais :
Les arbres ont crié sous la hache brutale ;
Le pommier, fier des fruits presque mûrs qu’il étale,
Est tombé lourdement sur l’herbe en gémissant,
Et le grand cerisier semble pleurer son sang
Par une large plaie ouverte en son écorce.
— Triomphe du progrès, victoire de la force !
Le beau verger n’est plus qu’un chantier de maçons ;
L’herbe folle, qu’Avril emplissait de chansons,
Foulée, agonisante, et bientôt disparue,
Sans pudeur est livrée aux cuistres de la rue.
Ils vont bâtir, dit-on : déjà, fouillant le sol,
L’architecte pressé meta profit ce vol :
Un gros cube quelconque, un bâtiment stupide
Va s’élever bientôt dans son essor rapide,
Et des badauds, épris de poutres et degrés,
En iront chaque jour constater les progrès.