Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t4, 1888.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
ÉMILE VERHAEREN.


Une étoile d’argent lointainement tremblante,
Lumière d’or dont on n’aperçoit le flambeau,
Se reflète mobile et fixe au fond de l’eau
Où le courant la lave avec une onde lente.

À travers les champs verts s’en va se déroulant
La route dont l’averse a lamé les ornières ;
Elle longe les noirs massifs des sapinières
Et monte au carrefour couper le pavé blanc.

Au loin scintille encore une lucarne ronde
Qui s’ouvre ainsi qu’un œil dans le pignon rongé :
Là, le dernier reflet du couchant s’est plongé,
Comme, en un trou profond et ténébreux, la sonde.

Et rien ne s’entend plus dans ce mystique adieu,
Rien, — le site vêtu d’une paix métallique
Semble enfermer en lui, comme une basilique,
La présence muette et nocturne de Dieu.


II


Alors les moines blancs rentrent aux monastères,
Après secours portés aux malades des bourgs,
Aux remueurs cassés de sols et de labours,
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,

À ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux,
Et que nul de regrets ni de pleurs n’accompagne
Et qui pourriront nus dans un coin de campagne
Sans qu’on lave leur corps ou qu’on ferme leurs yeux ;