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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Et c’est dans le matin l’âme toute ravie
D’aller sans savoir où, d’aller dans le matin
En respirant l’odeur amère des grands pins.
L’aube à l’orient monte, et la dernière étoile

Pâlit ; une fraîcheur de rosée emplit l’air,
Puis dans le ciel pareil à de tranquilles mers
Les nuages légers volent comme des voiles,
Et secouant la vie et ses parfums au vent
L’aurore disparait dans le soleil levant.

C’est l’immense réveil mystérieux des choses,
Un chant d’oiseaux, le cri du matin et du soir,
C’est la terre fumant comme un grand encensoir
Vers les horizons bleus et les horizons roses,
Les aigles frissonnants, ivres d’un long essor,
Et le soleil montant parmi les vapeurs d’or.

Comme des bulles d’air crevant sur l’eau dormante,
Des amours d’autrefois me remontent au cœur ;
Vous me grisez d’une âpre et divine liqueur,
Herbes et thyms mouillés à cette heure charmante,
Et dans mon souvenir vos parfums sont mêlés,
Amours éteints, et thyms d’aurore parfumés!

Mon âme emplit les bois et le ciel solitaire,
Mon sang afflue, et je respire à pleins poumons
Le vent sauvage et frais qui souffle sur les monts.
J’ai vu courir la vie et palpiter la terre.
Dans le passé, gouffre invisible où tout s’en va,
Comme un point lumineux cette heure restera.

Demain je saluerai votre douleur déserte
Et le soleil brûlant vos lointains fabuleux,
Sables, comme la mer immobiles et bleus...