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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Vous l’avez consolé sur la rive lointaine.
Sans le quitter jamais, dans sa route incertaine,
                Vous chantiez sur son cœur.
Un peu de moi par vous vivait sur sa poitrine,
Il sentait naître en lui l’espérance divine
                À votre accent vainqueur.

Le soir, il s’asseyait, lassé, pour vous relire :
La farouche forêt, vibrant comme une lyre,
                Tout à coup se taisait ;
Il n’entendait que vous dans l’immense nature,
Et le pesant souci de sa rude aventure
                Un instant s’apaisait.

Vous portiez devant lui, dans l’ombre et dans l’espace,
Afin de diriger ce voyageur qui passe,
                L’amour, brillant fanal.
L’affreux péril en vain posait sur lui ses ongles,
Votre vive lueur éteignait dans les jungles
                L’œil du tigre royal.

Il vous a répétés à l’écho des vieux temples,
Aux portiques déserts, montrant, mornes exemples,
                Notre fragilité.
L’homme meurt, et ses dieux, que le temps brise et roule
L’autel, étant de marbre, un peu plus tard s’écroule
                Que la divinité.

Vous partagiez ainsi ses profondes pensées.
Vous lui devez la vie, ô strophes cadencées !
                Il vous fit naître en moi.
Vous procédez de lui. Moi, je suis votre mère,
Je ne vous ai donné que la grâce éphémère ;
                Lui, la force et la foi.