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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Pour le moment si court où, dans la Pépinière,
Avec sa caressante et mignonne manière,
Se serrant sur mon cœur, elle me demanda
Ce long baiser que seule a vu la Velléda.

Ô parc royal, tu vis finir sa fantaisie,
Et lorsque la douleur m’apprit la poésie,
— Car on ne sent tout son bonheur qu’en le perdant, —
C’est toi qui fus encor mon premier confident.
Triste enfant de Paris, né loin de la nature,
C’est grâce à ton charmant asile de verdure
Que je l’ai devinée et que je la connais ;
C’est par toi que, jeune homme à la chasse aux sonnets,
Oui passais sans les voir près des joueurs de paume,
J’ai su que l’oiseau chante et que la fleur embaume ;
Et sous tes noirs rameaux je reviens aujourd’hui
Chercher la rime rare ou le mot juste enfui,
Et dans les voluptés du rêve je m’enfonce,
À l’heure où le couchant saigne sous le quinconce
Et quand pour le départ roule au loin le tambour.

Pour toutes ces raisons je t’aime, ô Luxembourg !
Car ma jeunesse, hélas! depuis longtemps passée,
Sur ton sable a semé son cœur et sa pensée,
Et mes premiers baisers comme mes premiers vers
Ont pris leur libre essor sous tes vieux arbres verts.
À toi je suis lié par un secret arcane.
Et quand je reviendrai, vieillard traînant ma canne,
Par quelque doux matin d’un automne attiédi,
Sur tes bancs au soleil me chauffer à midi,
Promets-moi, vieux jardin, témoin de mon aurore.
Quelque déception que me réserve encore
La volupté qui blase ou la gloire qui ment,
Que, devant une amante au bras de son amant.