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CLOVIS HUGUES.


Car je suis le plus saint des outils, la charrue!
J’ouvre les sillons gras au vol des germes sourds ;
La gerbe, grâce à moi, s’entasse, haute et drue :
J’ai ma part de fierté dans l’orgueil des blés lourds.

Je tressaille, je vibre aux étreintes de l’Homme ;
Je l’aide à féconder les éternels hymens ;
Et, pendant qu’il s’en va, le bras déployé, comme
S’il cueillait dans le ciel l’azur à pleines mains ;

Pendant qu’il jette au vent les semences légères,
Le geste lent, les reins tendus, le front baissé,
Broyant sous ses talons les petites fougères
Qui pendillent au bord du sillon commencé,

Moi je mords les cailloux et j’écarte la ronce,
La racine obstinée ou le lierre têtu,
Et sous la terre obscure et froide je m’enfonce,
Dans le déchirement du soc rude et pointu.

Et le soc est pareil à la coquille lisse
Dont la spirale fend le vaste flot amer,
Afin qu’autour de lui le sol soulevé glisse,
Léger comme une vague aux flancs bleus de la mer.

Le matin rit, les monts se dentellent de brume,
L’oiseau chante son chant dans le creux des rochers,
Le brin d’herbe tressaille au vent, le sillon fume
Ainsi qu’un ventre ouvert au seuil noir des bouchers.

Soleil, divin Soleil, père des moissons blondes !
Viens voir l’Homme, vêtu de misère et de chair,
Collaborer, devant l’éternité des mondes,
Avec le bois, avec la bête, avec le fer !