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CHARLES GRANDMOUGIN.


Songe à cette soirée où d’un divin mépris
Beethoven a couvert des gens de noble race !
Lui, Beethoven, jouait, mais eux restaient de glace :
« Hummel, dit-il, viens-t’en, viens ! Ils n’ont pas compris ! »

Voyons, lève les yeux ! Te sens-tu l’énergie
D’oublier et la gloire et les lointains palais,
De te dire parti, de clore tes volets,
De t’enfermer chez toi, d’allumer ta bougie,

Pendant des mois entiers de travailler sans bruit,
De sonder ton esprit comme une mer profonde,
De ne connaître plus le soleil ni la nuit,
D’avoir la bonne fièvre et de créer un monde ?...

Te sens-tu bien artiste à chaque heure du jour ?
Veilles-tu dans ton lit ? As-tu lame obsédée ?
Deviens-ru seulement l’esclave d’une idée
Au point de t’oublier au moment de l’amour ?

Regarde Berlioz errer de ville en ville,
Marcher obstinément comme un vieux chevalier,
Être toujours malade et toujours travailler,
Ne s’abîmer jamais dans un rêve stérile!

Sur son cœur, seulement, le chagrin a mordu!
Il demeure fécond aux heures les plus mornes :
Il n’a pas le remords poignant du temps perdu ;
Inspiré tout à coup, il écrit sur des bornes !

Vois donc son œil qui dit : « Je veux ! » Comme il est beau !
Il a connu Didon, il souffre avec Enée !
Il aime Juliette, il aime Roméo,
Verse d’immortels pleurs sur leur sombre hyménée ;