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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

NOCTURNE EN PROVENCE

Minuit sonne aux clochers de la ville. Tout dort.
Sommeil calme et profond. La nuit est chaude encor
Du soleil empourpré de juillet; mais la brise
Touche nos fronts avec une caresse exquise,
Et n’a gardé des feux étincelants du jour
Que la molle tiédeur dont s’enivre l’amour.
Midi n’allume plus sa brutale fournaise,
Et dans le ciel, où tout embrasement s’apaise,
La lune monte pâle et lente, balançant
Son disque d’or massif au rayon caressant ;
Dans la limpidité du ciel bleu, plein d’étoiles,
L’œil s’égare et pénètre aux profondeurs sans voiles,
Plus loin, plus loin encor, dans l’abîme infini.
— Par la fraîcheur du soir le monde est rajeuni ;
La nuit est belle, avec sa blancheur virginale.
Viens ! Sortons tous les deux de la ville banale !
Viens, et nous enivrant de l’air mystique et pur,
Nous nous croirons portés sur des ailes d’azur
Vers la splendeur rêvée en des sphères lointaines ;
Viens, et nous sentirons en ces heures sereines,
Sous la pâle lumière et la tiède chaleur,
Nos deux âmes d’amour s’ouvrir comme une fleur !
Viens, nous allons marcher au hasard, par les plaines
Où la lune a couché des ombres incertaines;
Viens, nous écouterons les nocturnes grillons
Pousser leurs cris aigus dans les creux des sillons,
Et le pipal plaintif, et doux, et monotone,
Gémir son chant, ainsi qu’une guzla bretonne.