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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

« Pierre va revenir. . . Il revient... Sur la mer
J’ai bien vu le Saint-Paul passer dans le ciel clair...
Je le reconnaîtrais entre mille sans peine :
J’ai cousu de mes doigts sa voile de misaine !
Pierre ne pas venir ?... Qui vous a dit cela ? »

Plus de doute à présent : la folie était là
Et d’un instant à l’autre allait saisir sa proie.
Alors, prenant ses mains :

                                        « Le bon Dieu vous envoie,
Lui dis-je doucement, tout bas, avec bonté,
Gervaise, une terrible épreuve, en vérité.
Mais reprenez courage, ô ma pauvre affligée !
Songez au lourd fardeau dont vous êtes chargée,
À ces pauvres petits qui n’auront plus que vous ! »

Elle mit les enfants entre ses deux genoux,
Et plus calme, sentant qu’en sa douleur amère
Pour n’être plus épouse, elle était toujours mère :

« Alors, Pierre ?... dit-elle. Oh ! je veux tout savoir !

— Trois barques ont péri, lui dis-je, sans espoir.
Le Saint-Paul est du nombre, avec tout l’équipage.
— Et les corps ?
                         — Pas un seul ! En vain, sur le rivage,
Avec les autres, Jean, le douanier, penché... »

— « Eh ! bon Dieu de bon Dieu ! c’est qu’ils ont mal cherché ! »
Dit une rude voix, tandis que ferme et forte
Une main brusquement faisait tourner la porte ;
« Ces maudits gabelous ont de bons yeux vraiment!
Dire que c’est payé par le gouvernement ! »