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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


SUR LA TERRASSE DU CHÂTEAU DE R…




Devant le pur, devant le vaste ciel du soir,
Où scintillaient déjà quelques étoiles pâles,
Sur la terrasse, avec des fichus et des châles,
Toute la compagnie avait voulu s’asseoir.

Devant nous l’étendue immense, froide et grise,
D’une plaine, la nuit, à la fin de l’été.
Puis un silence, un calme, une sérénité !
Pas un chant de grillon, pas un souhfle de brise.

Nos cigares étaient les seuls points lumineux ;
Les femmes avaient froid sous leurs manteaux de laine ;
Tous se taisaient, sentant que la parole humaine
Romprait le charme pur qui pénétrait en eux.

Près de moi, s’éloignant du groupe noir des femmes,
La jeune fille était assise de profil,
Et, brillant du regret des anges en exil,
Son regard se levait vers le pays des âmes.

Ses mains blanches, ses mains d’enfant sur ses genoux
Se joignaient faiblement, presque avec lassitude,
Et ses yeux exprimaient, comme son attitude,
Tout ce que la souffrance a de cher et de doux.

Elle semblait frileuse en son lourd plaid d’Écosse
Et pourtant souriait, heureuse vaguement,
Mais ce sourire était si faible en ce moment
Qu’il avait plutôt l’air d’une ride précoce.