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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Tu reflètes le ciel et leurs yeux, leur visage,
Et leur sein rebondi comme un doux raisin mûr ;
Et le mirage vert du riant paysage
Frissonne renversé dans tes reflets d’azur...

Mais tu n’es pas un lac : tu t’appelles le Rhône !
Prouve donc, si tu peux, tes puissances d’amours !
Assez d’alluvions roulent dans ton eau jaune
Pour te faire un obstacle et prolonger ton cours :

Arrange-toi ! — C’est fait ! Le Rhône a fait une île !
Il l’étreint à deux bras, la pousse au gouffre amer :
C’est la Camargue. Elle est immense, elle est fertile,
Et, toujours grandissante, elle éloigne la mer.

C’est bien, fleuve ! L’effort est digne de ta gloire.
Le but fût-il manqué, l’effort resterait beau ;
Mais l’heure est retardée où la mer doit te boire. . .
Qui d’entre nous fera reculer son tombeau ?

Et maintenant, là-bas, jusqu’aux grèves marines,
Les chevaux, en Camargue, ardents, libres de mors,
Sauvages, secouant à grand bruit leurs narines,
Hésitent, effrayés, à boire sur tes bords.

Et t’écoutant de loin, du fond des marais mornes,
Les noirs taureaux, tes fils, des feux sanglants dans l’œil,
Droits parmi les joncs verts moins aigus que leurs cornes,
Reconnaissant leur père, en mugissent d’orgueil.

(Poèmes de Provence)