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LUCIEN PATÉ.


On eût rêvé pour toi que la guerre civile
T’eût fait périr debout, dans ta gloire immolé,
Tel que trois jours entiers t’a vu l’Hôtel-de-Ville,
Plus noble que d’Anglas et plus beau que Molé.

De ce peuple en fureur, qui brisait ses entraves,
Quand ta voix éloquente osait dompter les flots,
Certes, tu méritais la sainte mort des braves :
Le poète avait droit de finir en héros.

Si la mort fut rebelle, en est-ce à toi la faute ?
Eh ! qui plus fièrement a jamais survécu ?
Qui donc jamais chez soi rentra tête plus haute
Et prit plus simplement le chemin du vaincu ?

Rome eut-elle jamais de plus belles victimes ?
En fut-il de plus pure au pays de Platon ?
Fallait-il mettre encor dans tes mains magnanimes
Le poison d’Annibal ou le fer de Caton ?

Rendons grâce au destin qui sauva la patrie
D’un meurtre maternel et d’un crime odieux.
Mais toi, d’assez de coups ton âme fut meurtrie
Pour qu’il te fût permis d’en porter plainte aux dieux !

Avoir été le barde et l’enchanteur suprême,
Le grand consolateur, lui seul inconsolé,
La voix dont un écho, sur les lèvres qu’on aime,
Se trouve à nos soupirs incessamment mêlé ;

Avoir ouvert sa porte à toutes les misères ;
Avoir à tout venant prodigué son trésor,
Puis offert sa poitrine à tous les adversaires,
Sans pâlir ni compter plus ses jours que son or ;