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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


SPARTACUS

fragment



C’est l’heure où la Nuit sombre a déployé ses voiles,
Où dans les cieux déserts s’allument les étoiles,
Où l’enfant au berceau s’endort frais et vermeil.
La plaine au loin s’étend couverte de ténèbres ;
On y voit vaguement quelques mares funèbres
Qui demain reluiront, rouges, au grand soleil.
Là vient de se gagner une victoire infâme,
Et le sol est jonché de mille corps sans âme
Que l’on croirait plongés dans un profond sommeil.

Ce sont les restes froids d’hommes qui furent braves.
Rome les façonnait au dur métier d’esclaves,
Et les tenait courbés sous la loi du plus fort.
Mille bras indignés brisèrent mille chaînes,
Et, mettant en faisceau toutes leurs vieilles haines,
On les vit, lance au poing, faire un viril effort.
— C’est pour cela qu’ils sont couchés sous l’herbe verte,
Et qu’ils sentent passer sur leur bouche entrouverte
Le baiser glacial des lèvres de la Mort.

Mais ce bruit ?… C’est l’un d’eux. Sa tête se redresse
Et du vent de la nuit savoure la caresse ;
Il se lève à demi, sur son coude appuyé.
Un vieil anneau brisé pend à sa main peu sûre,
Qui veut en vain fermer une large blessure,
Humide encor du sang dont le sol est noyé.
Son front est d’un vainqueur, et non d’une victime.
On reconnaît le chef à cet air si sublime,
Qu’à le voir on dirait un géant foudroyé.