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ALPHONSE DAUDET.

douter, auprès des versets de l’Intermezzo, entre la pièce la plus célèbre de Sully Prudhomme et certains sonnets de Soulary.

Si Alphonse Daudet n’est pas resté attaché à la forme du vers, du moins il n’a pas à désavouer sa tentative, il a mis la subtile empreinte de ses premières années sur ces chansons inconsciemment chantées. Pour se servir d’une comparaison presque empruntée à ce délicat recueil de la dix-huitième année, on peut bien dire que les Amoureuses restent comme un verger de printemps avec des arbres blancs et roses odorants comme des bouquets, tout doré de soleil, tout plein de voix, traversé par des robes claires, obscurci par instants sous un nuage d’orage. Depuis, l’écrivain en marche a quitté ce beau jardin, il est parti par les routes, il a traversé des forêts, il s’est frayé un âpre chemin à travers des espaces vierges. Ce chemin, il était impossible de ne pas le mesurer, au moins par des dates et des titres de livres, dans cette notice littéraire qui devrait fidèlement reproduire la silhouette d’un esprit et l’étendue d’un talent.

Les fantaisies de prose dialoguée qui suivent les Amoureuses, le Roman du Chaperon Rouge, les Âmes du Paradis, les Rossignols du cimetière, voilà la transition chronologique et intellectuelle entre les vers et la prose des Lettres de mon Moulin et des Contes du Lundi. Qu’on regarde bien dans ces Lettres et ces Contes, on y trouvera, très visibles, les esquisses prises sur nature de ces fresques d’humanité que sont les romans futurs. Fromont jeune va rassembler ces croquis pris au Marais. La forêt de Sénart mettra son odeur de feuilles dans Jack et Robert Helmont. Telles nouvelles sont grosses du Nabab. La maîtresse du Petit Chose annonce la maîtresse de Gaussin. Ainsi se tisse et se fixe le lien continu et fort qui va des premiers mots hésitants d’un apprenti de littérature jusqu’au pénétrant et haut langage d’un maître écrivain. C’est le même homme, en perpétuel développement, gardant son charme et accentuant sa virilité, qui a écrit, après les Amoureuses, les cruels chapitres des Femmes d’artistes, les chroniques du Nabab et des Rois en exil, l’étude psychologique et ethnographique de Numa Roumestan, l’observation de clinique morale de l’Évangéliste, la dissection de passion de l’admirable Sapho. Poète, il l’est resté, en devenant historien et philosophe, c’est même son âme de poète qui lui a donné la pénétration et la