Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
369
SULLY PRUDHOMME.


Dans un nuage autrefois suspendue
Elle voguait par l’éther, en plein jour !
Du ciel tombée elle est au ciel rendue,
Elle remonte à son premier séjour.

Et c’est pour elle un souverain délice,
Fille de l’air, moins pesante que lui,
De l’explorer, et, qu’elle plane ou glisse,
De se fier à son subtil appui.

Miroir limpide et mouvant, toutes choses
Y font tableaux passagers et tremblants ;
Les monts lointains et les prochaines roses
Et l’infini se mirent dans ses flancs.

Sous le soleil dont tous les feux ensemble
En s’y doublant s’y croisent ardemment,
Elle s’irise et rayonne, et ressemble
À quelque énorme et léger diamant.

Mais il suffit que près d’elle se joue
Une humble mouche, un flocon dans les airs,
Et soudain crève, et tombe, et devient boue,
La vagabonde où brillait l’univers !

La rêverie est de courte durée :
Frêle plaisir que la raison défend,
Elle est pareille à la bulle azurée
Qu’enfle une paille aux lèvres d’un enfant.


(Le Prisme)