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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Pour recueillir l’écho d’une mer qui s’endort
Très loin, au fond d’un golfe où fut jadis un port.
Elles ont alangui leurs regards et leurs poses
Au silence divin qui les unit aux choses,
Et qui fait, sur leurs seins qu’il gonfle, par moment
Passer un fraternel et doux frémissement.
Chacune dans son cœur laisse en un rêve tendre
La candeur de la nuit par souffles lents descendre ;
Et toutes, respirant ensemble dans l’air bleu
La jeune âme des fleurs dont il leur reste un peu,
Exhalent en retour leurs âmes confondues
Dans des parfums où vit l’âme des fleurs perdues.

(Les Amants)



FORÊT D’HIVER




Seront-ils toujours là quand nous disparaîtrons ?
Les voilà, raidissant leurs vénérables troncs
Qui des vents boréens ont lassé les colères,
Eux, les arbres, longs murs de héros séculaires
Durcis aux noirs assauts des hivers meurtriers,
Inexpugnable bloc d’immobiles guerriers
Qui, sous le choc prochain des rafales nocturnes,
Pour un instant se font tout à coup taciturnes,
Solennels et géants, horribles et nombreux,
Et défiant la mort comme les anciens preux !
Chênes, Trembles, Bouleaux, Sapins, Hêtres et Charmes
Semblent marcher par rangs de squelettes en armes
Dont l’âme rude a fait d’invincibles remparts ;
Et du sol reluisant de leurs débris épars
Ils se dressent humant le parfum des batailles,
Tout cuirassés d’écorce ou pourfendus d’entailles