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LÉON DIERX


1838




Né à l’île Bourbon, Léon Dierx dont l’œuvre considérable reste presque ignorée de la foule, dont le talent n’est estimé à sa juste valeur que par les artistes et les lettrés, est véritablement un des plus purs et des plus nobles esprits de la fin du XIXe siècle. Je ne crois pas qu’il ait jamais existé un homme plus intimement, plus essentiellement poète que lui. La poésie est la fonction naturelle de son âme, et les vers sont la seule langue possible de sa pensée. Il vit dans la rêverie éternelle de la beauté et de l’amour. Les réalités basses sont autour de lui comme des choses qu’il ne voit pas ; ou, s’il les aperçoit, ce n’est que de très haut, très vagues, très confuses, et dépouillées par l’éloignement de leurs tristes laideurs. Au contraire, tout ce qui est beau, tout ce qui est tendre et fier, la mélancolie hautaine des vaincus, la candeur des vierges, la sérénité des héros, et aussi la douceur infinie des paysages forestiers traversés de lune et des méditerranées d’azur où tremble une voile au loin — l’impressionne incessamment, le remplit, devient comme l’atmosphère où respire heureusement sa vie intérieure. S’il était permis au regard humain de pénétrer dans le mystère des pensées, ce que l’on verrait dans la sienne, ce serait le plus souvent, parmi la langueur éparse du soir, des Songes habillés de blanc qui passent deux à deux en parlant tout bas de regret ou d’espoir, tandis qu’une cloche au loin tinte douloureusement dans les brumes d’une vallée.

Catulle Mendès.
(La Légende du Parnasse contemporain)