Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


C’était un vieux logis où la famille entière
Avait groupé longtemps ses arides travaux,
Ses efforts qu’animait une volonté fière,
Et ces rêves du cœur, toujours chers et nouveaux !

Jours passés, jours sacrés jusqu’en vos amertumes,
Dans ce pauvre logis vous étiez enfermés :
Ah ! qu’il est triste et doux, l’endroit où nous vécûmes
Souffrant, aimant, heureux de nous sentir aimés !

Entre les quatre murs d’une chambre modeste,
Qui dira ce que l’homme entasse de trésors ?
Trésors faits de sa vie, et dont il ne lui reste
Qu’un pâle souvenir et qu’un songe au dehors !…

Quand il fallut partir de la vieille demeure ;
Quand il fallut partir, — l’ayant bien décidé, —
Là, tel qu’un faible enfant, j’ai perdu plus d’une heure
À penser, à pleurer, seul, dans l’ombre accoudé.

— « C’était un vieux logis ! » murmurait la Sagesse ;
« Un logis plein d’amour ! » disait le cœur tremblant ;
« C’était un vieux logis plein d’intime richesse :
Prendras-tu ta jeunesse aux murs, en t’en allant ?

« C’est là qu’elle vibrait ! Là qu’elle s’est levée,
Radieuse et chantant les clairs matins d’Avril !
C’est là que d’espérance elle fut abreuvée, —
Comme on vole au bonheur, s’élançant au péril !

« C’est là qu’elle versa ses premiers pleurs d’ivresse,
Qu’elle eut ses premiers cris et ses premiers sanglots !
Tout ici lui gardait une chaude caresse ;
Qu’elle s’achève ailleurs, loin de ces vieux échos !