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l’épaule, est allé faire le coup de feu à Buzenval, et, pendant ces jours d’épreuve, il a ressenti de patriotiques émotions dont on perçoit l’écho dans Les Paysans de l’Argonne, la Veillée de Noël et surtout la Prière dans les bois. En même temps il chante l’amour d’une voix discrète et profonde, comme un libre oiseau de la forêt qu’on entend sans le voir. Ses courts et vifs poèmes amoureux : Brunette, Premier soleil, Désir d’avril, La Vigne en fleur, etc., ont le charme naïf et mélancolique des chansons populaires, de ces chemineresses qu’on entend monter au loin dans la lande ou à l’orée des bois, lancées par d’invisibles voix de pâtres ou de bûcherons.

En octobre 1871, il fait représenter à l’Odéon un acte en vers, Jean-Marie, qui est resté au répertoire, et en 1874 il publie Le Bleu et le Noir, son second recueil de vers.

À partir de cette époque, le poète se double d’un romancier. M. Theuriet nous peint dans une prose à la fois sobre et colorée les intimes bonheurs, les ridicules et aussi la poésie de la vie provinciale. Le Lorrain s’est imprégné de mélancolie en traversant les grandes forêts mystérieuses de l’Argonne, mais il a gardé un fonds de sensualisme et d’observation à la fois attendrie et moqueuse, qui caractérisent sa troisième manière, et dont on trouve parfois la trace dans son dernier volume : Le Livre de la Payse. L’inspiration y est plus chaude, plus verveuse ; la note sensuelle a pénétré dans la chanson. Là, comme dans les romans de M. Theuriet, on sent une franche et saine saveur de terroir qui constitue l’originalité du poète.

Ce qui ressort surtout des poèmes d’André Theuriet, c’est l’amour de la nature forestière, l’intime souvenir de la vie campagnarde, et en même temps une pitié profonde pour les souffrants, les déshérités de ce monde, qui vont courbés sur la glèbe ou errants sur les routes, à l’heure où le soir tombe et quand s’illumine dans la nuit la fenêtre des heureux.

Les poésies d’André Theuriet et une partie de ses œuvres en prose ont été éditées chez A. Lemerre.

André Lemoyne.