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LÉOPOLD LALUYÉ.


Devons-nous, quelque jour, plus rapprochés tous deux,
Er les mains dans les mains, et les yeux dans les yeux,
En causant d’avenir apprendre à nous connaître ?

Je le voudrais. J’attends ; j’ai la foi, j’ai l’espoir…
Et pourtant mieux vaudrait ne jamais vous revoir,
Si Dieu pour mon bonheur ne vous a pas fait naître.




LA DANSEUSE DE CORDE




Voyez, rebondissant sur une corde oblique,
Cet être féminin de badauds entouré.
Son visage en sueur, par le soleil bistré,
A comme son costume un reflet métallique.

Sous le paillon terni ses cheveux, d’un beau noir,
Frissonnent aux ébats de ses danses lascives :
On dirait d’un corbeau les deux ailes captives.
Pour l’artiste rêveur elle est étrange à voir.

Son corps, bariolé par des enluminures,
A les contorsions d’une panthère ; aussi
Dieu, qui créa ce corps par le jeûne aminci,
Dut y mettre le sang des ardentes natures.

Sous d’épais sourcils noirs ses regards affamés
Portent l’expression de la souffrance humaine,
Et d’un sourire empreint d’ironie et de haine
Elle reçoit les sous des amateurs charmés.