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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Fatigués cependant par ce pèlerinage,
Dans un lieu qui formait un divan naturel,
Et d’où l’on pouvait voir au loin le paysage,
Nous nous sommes assis en regardant le ciel.

Les mains pressant les mains, épaule contre épaule,
Et, sans savoir pourquoi, l’un et l’autre oppressés,
Notre bouche s’ouvrit sans dire une parole,
            Et nous nous sommes embrassés.

Près de nous l’hyacinthe avec la violette
Mariaient leur parfum qui montait dans l’air pur ;
Et nous vîmes tous deux, en relevant la tête,
Dieu qui nous souriait à son balcon d’azur.

« Aimez-vous, disait-il ; c’est pour rendre plus douce
« La route où vous marchez que j’ai fait sous vos pas
« Dérouler en tapis le velours de la mousse.
« Embrassez-vous encor, — je ne regarde pas.

« Aimez-vous, aimez-vous : dans le vent qui murmure,
« Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis,
« Dans l’astre, dans la fleur, dans la chanson des nids,
« C’est pour vous que j’ai fait renaître ma nature.

« Aimez-vous, aimez-vous ; et de mon soleil d’or,
« De mon printemps nouveau qui réjouit la terre,
« Si vous êtes contents, au lieu d’une prière
« Pour me remercier, — embrassez-vous encor. »