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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LES QUAIS SAVANTS





Ah ! la Seine est toujours la bonne institutrice.
Lutèce l’eut pour sœur, Paris l’a pour nourrice.
Elle apporte du fond des Gaules, des forêts,
Des champs, l’esprit du sol, des airs, les souffles frais,
La respiration fiévreuse des poitrines
Qu’agitent, généreux, le combat des doctrines
Et l’espoir invaincu de voir l’humanité,
— La France au cœur, — prendre âme et voix de la Cité.
Elle apporte le vin des vignes glorieuses ;
Elle apporte le bois pour les nuits studieuses,
Pour les foyers amis. — Souvenirs évoqués !
Le vrai cœur de Paris bat non loin de ses quais,
À gauche de la grande artère aux eaux fécondes
Et sous le mont sacré, mamelle des deux mondes
Où vinrent s’abreuver les peuples, les esprits,
Les faibles et les forts, les grands, Dante compris,
Les insoumis, Villon, les délicats, Érasme,
Ceux qui faisaient brûler, ceux dont l’enthousiasme
Outré de voir le juste ou le droit trébucher,
Avec colère et joie acceptait le bûcher.
La Seine aime le mont des combats et des veilles
Avant le Louvre orgueil et gardien des merveilles ;
Ses quais même ont ce culte et l’affirment deux fois.
C’est du côté par l’ombre accaparé dix mois,
Mais salué par l’aube encore au temps des givres,
Que sur les parapets s’entassent les vieux livres,
Et c’est de ce côté qu’en toutes les saisons
Les fleurs tombent aussi de pleines cargaisons.