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F. DE GRAMONT.

Mais parce qu’on voyait, sous les feuilles sans nombre,
Palpiter des rayons et d’étranges couleurs,
Et l’aurore au soleil y disputer ses pleurs.

Mon sang, dans le trajet, teignit de quelques pleurs
Les aiguillons du houx et la barrière sombre
Que l’épine et la ronce aux vineuses couleurs
Avaient lacée autour de l’asile des fleurs.
Dans la clairière enfin quel m’apparut leur nombre,
Alors que du fourré j’atteignis la pénombre !

Harmonieux réseau de lumières et d’ombre !
Là tous les diamants de la rosée en pleurs,
Les perles à foison, les opales sans nombre,
Dans la neige et dans l’or ou le rubis plus sombre,
Frémissaient, et, filtrant de la coupe des fleurs,
Allaient du doux feuillage argenter les couleurs.

C’est alors qu’une Fée aux charmantes couleurs,
Sortant comme du tronc d’un grand chêne sans ombre
Qui défendait du nord le royaume des fleurs,
Apparut à mes yeux encor vierges de pleurs.
Elle me dit : « Ainsi tu fuis la route sombre,
Et de mes ouvriers tu veux grossir le nombre.

« Contemple mes trésors, et choisis dans le nombre ;
Avec art, à loisir, assemble leurs couleurs ;
Compose ta guirlande, et, si le vent plus sombre
En bannit le soleil et les sèche dans l’ombre,
Répands-y de ton âme et la flamme et les pleurs :
Des rayons immortels jailliront de ces fleurs. »

Je vous cueillis alors, chères et chastes fleurs,
Et je n’ai plus tenté d’accroître votre nombre.
Celle-là n’a voulu que mon sang et mes pleurs,