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VICTOR DE LAPRADE.



HERMAN

À LA JEUNESSE




On dit qu’impatients d’abdiquer la jeunesse,
Aux sordides calculs vous livrez vos vingt ans ;
Qu’à moins d’un sang nouveau qui du vieux sol renaisse,
La France et l’avenir ont perdu leur printemps.

À l’âge où nous errions, livre en main, sous la haie,
Tout prêts à dépenser notre cœur et nos jours,
On dit que vous savez ce que vaut en monnaie
L’heureux temps des chansons, des songes, des amours.

On dit que le franc rire est absent de vos fêtes ;
Que l’ironie à flots y coule par moments ;
Que chez vous le plaisir, pour parer ses conquêtes,
Rêve, au mépris des fleurs, l’or et les diamants ;

Que vous refuseriez l’amour et le génie,
Si Dieu vous les offrait avec la pauvreté ;
Que vous n’auriez jamais pour la Muse bannie
Un seul regret, pas plus que pour la liberté !

On dit vos cœurs tout pleins d’ambitions mort-nées ;
On dit que vos yeux secs se refusent aux pleurs ;
Qu’avec vous le rameau des nouvelles années
Porte un fruit corrompu, sans avoir eu des fleurs.