Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
ERNEST LEGOUVÉ.

— Il n’importe ; voltige, en offrant à leur vue
Quelque ver, quelque mouche à ton bec suspendue ;
La convoitise sert de courage à l’enfant ;
Il s’avance d’un pas, on s’éloigne d’autant ;
L’objet qui fuit l’attire, il le suit, il s’élance,
Et, radieux, dans l’air voilà qu’il se balance :
Ainsi t’ai-je donné ta première leçon.

— Mais ils n’étaient pas nés au temps de la moisson.

— Viens donc seule… et fuyons loin de ces lieux funestes !

— Moi, les laisser mourir ?

                                           — Vivront-ils, si tu restes ?

— Ils ne mourront pas seuls au moins ! Et, dût le froid
Me glacer avec eux sur notre nid étroit ;
Dût en ce foyer mort la flamme rallumée
M’étouffer dès demain sous des flots de fumée,
Je ne les quitte pas. Au dedans, au dehors,
Le jour, la nuit, partout, mon corps couve leur corps,
L’amour agrandira mes ailes !… La Nature
Ne veut pas que mon sang leur serve de pâture,
Mais il peut réchauffer s’il ne peut pas nourrir ;
Et, m’étendant sur eux, sur eux je veux mourir
Pour les défendre encore à cet instant suprême,
Et leur faire un abri de ma dépouille même.

— Ma fille, tu fais bien. J’eusse été dans ces lieux
Vaillante comme toi, pour toi faible comme eux ;
Reste donc ! Mes petits m’attendent sous le frêne ;
Le devoir qui t’arrête est celui qui m’entraîne ;
Il faut nous séparer, il le faut. Que ce lieu