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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Aimons donc nos amis : c’est bonheur et raison. »

La digne veuve ainsi, durant ces jours moroses,
Elle-même tirait du miel des moindres choses.
Sur son humble ménage, oh ! comme elle veillait !
Attentive aux enfants, attentive au valet !
Elle avait l’œil au champ, au lavoir, à la huche.
Oui, toute sa maison était comme une ruche.
Ses filles, qu’au bourg seul on vit depuis un mois,
Ce matin vont sortir pour la première fois :
« Çà donc, habillez-vous, mes filles, leur dit-elle,
Puisque pour un banquet un parent vous appelle.
Vous aiderez les gens ; mais qu’on voie à votre air
Que vous êtes, hélas ! orphelines d’hier !
Moi, si j’en ai la force, avant que le jour tombe,
J’irai jusques au bourg prier sur une tombe. »
Et comme avec Hélène Annaïc se coiffait,
Elle se mit encore à ranger au buffet
Les vases de faïence et les vases de cuivre ;
À la plus belle place elle étalait son livre ;
Et les montants de buis, les portes, le tiroir,
Sous ses doigts diligents brillaient comme un miroir.
Elles partent ; la mère, en leur montrant la route,
Leur dit : « Vous trouverez le vieux Furic, sans doute :
Qu’il ait soin cet hiver de nos mouches à miel !
C’était l’associé de votre père Hoël.
Car elles n’aiment pas, ces braves ouvrières,
À courir pour un seul les bois et les bruyères :
Elles veulent unir le riche et l’indigent.
Donc, si celui qui tient du ciel un peu d’argent
Et quelques beaux essaims au pauvre les apporte.
Les ruches sont à peine aux deux coins de la porte,
Que voilà de sortir, de rentrer tout le jour,
Ces mouches, dont le cœur enferme tant d’amour,