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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
                    Petit être joyeux,
Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée
                    Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison ;
Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste
                    De tout ce qu’on rêva,
Considérez que c’est une chose bien triste
                    De le voir qui s’en va !


(Les Contemplations)
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BOOZ ENDORMI




Booz s’était couché, de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire,
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d’orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n’avait pas de fange en l’eau de son moulin ;
Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril.
Sa gerbe n’était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
« Laissez tomber exprès des épis, » disait-il.