Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
ALFRED DE VIGNY.

Les genoux de Samson fortement sont unis
Comme les deux genoux du colosse Anubis.
Elle s’endort sans force et riante et bercée
Par la puissante main sous sa tête placée.
Lui, murmure le chant funèbre et douloureux
Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux.
Elle ne comprend pas la parole étrangère,
Mais le chant verse un somme en sa tête légère.

« Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu,
Se livre sur la terre, en présence de Dieu,
Entre la bonté d’Homme et la ruse de Femme,
Car la femme est un être impur de corps et d’âme.

« L’Homme a toujours besoin de caresse et d’amour,
Sa mère l’en abreuve alors qu’il vient au jour,
Et ce bras le premier l’engourdit, le balance
Et lui donne un désir d’amour et d’indolence.
Troublé dans l’action, troublé dans le dessein,
Il rêvera partout à la chaleur du sein,
Aux chansons de la nuit, aux baisers de l’aurore,
À la lèvre de feu que sa lèvre dévore,
Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front,
Et les regrets du lit, en marchant, le suivront.
Il ira dans la ville, et, là, les vierges folles
Le prendront dans leurs lacs aux premières paroles.
Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu,
Car plus le fleuve est grand et plus il est ému.
Quand le combat que Dieu fit pour la créature
Et contre son semblable et contre la nature
Force l’Homme à chercher un sein où reposer,
Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser.