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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Épouvantant des czars la sainte métropole,
Vous irez dans Moscou chercher les clefs du pôle ;
Et quand, pour échapper à vos puissantes mains,
Le pôle sous vos pieds glacera ses chemins,
Quand les rois, secouant leur stupeur léthargique,
Convoqueront l’Europe aux champs de la Belgique,
Une dernière fois parés des trois couleurs,
Soldats, vous combattrez dans ce vallon de pleurs
Où la France, portant son dernier coup d’épée,
Tombera digne d’elle au visage frappée !

Alors de ce grand siècle, étonné de finir,
Plus rien ne restera qu’un morne souvenir.
Sur une île de rocs, dans l’Océan jetée,
La gloire et le génie auront leur Prométhée,
Et les rois, l’enchaînant à cet écueil lointain,
Au vautour britannique offriront un festin.
Des nations en deuil sublimes mandataires,
Trois hommes le suivront sur les mers solitaires ;
Ils formeront la cour de son étroit palais,
Et sur un sol impur, sous un soleil anglais,
Volontaires captifs dans l’île sépulcrale,
Serviront sans témoins son ombre impériale.
Ainsi, quand sous la voûte aux funèbres parois,
Memphis vit enfermer le plus grand de ses rois,
Consacrant à la mort un culte légitime,
D’étranges courtisans suivirent la victime ;
Et d’une gloire éteinte escortant les débris,
Vivants, dans son tombeau, gardèrent Sésostris !


(Napoléon en Égypte, VIII)


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