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ALPHONSE DE LAMARTINE.

et sa fin a été abreuvée d’amertume. Il a pu dire, comme Milton, qu’il était tombé dans les mauvais jours et les mauvaises langues. Mais toujours grand dans les tristesses du déclin comme dans les splendeurs de sa glorieuse carrière, il est pour notre siècle l’homme représentatif par excellence, celui qui en a le mieux traduit, dans sa prose et dans ses vers, les besoins et les aspirations, et qui, par son génie politique ainsi que par son talent d’écrivain, a donné de nos jours à la voie du progrès l’impulsion la plus vive. C’est là son signe parmi nos contemporains : il a été le prophète inspiré de notre avenir ; et s’il n’a pas réalisé lui-même son rêve par l’établissement d’une république large et libre, il en a du moins tracé à grands traits la figure idéale et préparé l’avènement par sa parole et par ses écrits, dans l’opposition et au pouvoir.

« Comme poète, et c’est sous ce rapport seulement que nous devons l’envisager ici, c’est à lui que revient l’honneur incontesté d’avoir renouvelé la poésie française. « Tous les vers sont faits, » disait un critique académicien au moment où venaient de paraître les premières Méditations. Le jeune poète fit bien voir qu’il en restait encore à faire, ce dont M. de Fontanes ne se doutait guères, et que l’amour, la religion, la philosophie et la politique allaient recevoir d’idées et de sentiments nouveaux une expression nouvelle. Une langue nouvelle fut créée pour une nouvelle âme. Le siècle reconnut et proclama son poète ; Lamartine, pour employer une expression de Shakspeare, fut porté en triomphe sur les cœurs. Si l’on doit mesurer la grandeur d’un poète au nombre de ses admirateurs et à la vivacité des sympathies qu’il a excitées, aucun ne doit passer avant Lamartine. Aucune muse, à son apparition, n’a pris plus d’âmes sous ses ailes ; la jeunesse du siècle est toute pleine de sa jeunesse.

« Après les Méditations, où résonnaient des notes inconnues avant lui, vinrent les Harmonies, ces poésies religieuses, si belles dans leur monotonie, où se trouvent quelques-unes des plus heureuses inspirations de la Muse contemporaine. À côté du Premier Regret, cette élégie qualifiée d’admirable par Sainte-Beuve, on lit les Novissima verba, l’un des chefs-d’œuvre de cette poésie personnelle, intime, dont Lamartine fut chez nous le révélateur. Au poème platonicien et fénelonien de La Mort de Socrate, pur comme un bas-relief antique, succède l’épopée familière de Jocelyn,