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puella

Résistant de mon mieux à cette voix magique
Dont l’accent pénétrant, très doux, un peu voilé,
En des temps plus heureux m’avait ensorcelé.
Je sentais, faible et fier, furieux et timide,
Abonder à grands flots sous ma paupière humide
Et sourdre dans mon cœur plein de son abandon
Les rages de Didier et les pleurs de Didon.

Mais sa voix tout à coup — je crois encor l’entendre -
Eut une inflexion si divine et si tendre
Qu’il fallut bien, vraiment, que mon courroux fondît.
Je ne me souviens plus de ce qu’elle me dit,
Mais je sais qu’en mon sein se dissipa l’orage,
Que soudain j’oubliai de ressentir l’outrage,
Qu’il me revint au cœur un immortel amour,
Ardent, mais résigné, sans espoir de retour,
Sans trouble et sans désir, mais non pas sans délice,
Saint comme l’amitié, pur comme un sacrifice :
On est si fou parfois ! — Je me crus bien guéri,
Et je l’interrogeai sur son futur mari,
Sur ses chiffons, sur sa toilette d’épousée.
Elle me répondait avec sa grâce aisée.
Je lui donnais, demi-railleur, de bons avis.
Peu à peu je devins stupide, et je lui fis
Sur ses devoirs, sur l’art d’être heureux en ménage,
De faire à son captif aimer son esclavage,