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au jour le jour

Et découvrit, pareils aux divinités blanches,
Enlacés, dans les fleurs et l’herbe haute assis,
La nymphe Galatée et le berger Acis.

Tant de feuillage et tant d’oubli les enveloppe,
Hélas ! qu’ils n’ont point vu s’approcher le Cyclope.

Polyphème devint livide. Un long frisson
Émut son vaste corps de terrible façon ;
Un éclair traversa son œil rond qui s’allume,
Et, comme le marteau sous qui sonne l’enclume,
Son sang pressé battit ses tempes à grands coups.
Une haine infinie emplit son cœur jaloux.
Il regagne aussitôt la montagne prochaine,
En arrache un rocher qu’il emporte sans peine,
Revient à pas muets, s’arrête, et, se dressant,
Sur les deux fronts penchés du couple adolescent
Laisse tomber soudain la masse épouvantable.
Horreur ! un cri de mort éclate, lamentable,
Cri des amants au sein de leur rêve broyés,
Que le roc ténébreux recouvre tout entiers.
La terre a retenti de sa chute sonore ;
Les oiseaux, qui chantaient la chanson de l’aurore,
Ont d’un vol effaré fui le lieu criminel.

Tout redevient muet dans le bois solennel.