Page:Lemaître - Poésies, 1896.djvu/264

Cette page n’a pas encore été corrigée

246
au jour le jour

Des muscles tortueux sur ses membres massifs
S’entre-croisaient. Le soir, errant par les récifs,
Sous son pied large et lourd craquaient les coquillages.
Habitant des forêts, la couche de feuillages
Où gémissait la nuit son amour sans sommeil,
Pour le montrer plus fauve aux clartés du soleil,
Entremêlait aux poils buissonneux de son torse
De longs brins d’herbe sèche et des lambeaux d’écorce.
Il était mal peigné, monstrueux, et fort laid.

Or Galatée était blanche comme du lait :
Son doux mal la faisait plus charmante et plus pâle.
Le berger ressemblait, tout doré par le hâle,
A Phébus, dans le temps qu’il menait les agneaux :
Et c’est pourquoi la nymphe aux blondissants anneaux
Adorait le beau pâtre à la crinière brune.

Cependant Polyphème, un soir, au clair de lune,
Rencontra Galatée au détour d’un sentier
Et, tout tremblant, osa pourtant lui confier
Qu’il l’aimait grandement et qu’elle était bien belle.
Honteux, il bégayait comme un enfant ; mais elle,
Sur le monstre éploré fixant un œil malin,
S’écria tout à coup : « Bons dieux ! qu’il est vilain ! »
(A quoi le malheureux Géant ne sut que dire)
Et disparut, légère, en éclatant de rire.