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un homme qui n’a jamais pensé. Évidemment, les idées encloses sous son petit front arrondi et dur étaient pauvres et peu nombreuses, mais rangées en bon ordre, tenaces et d’autant plus immuables qu’il ne les avait pas cherchées lui-même et qu’elles étaient uniquement les idées de sa naissance, de son rang, de sa fortune et de sa carrière. Il était de ceux qui sont incapables de concevoir et de se figurer une âme différente de ce qui leur sert d’âme, ni une autre vie que la leur, ni la possibilité même d’un autre état social que celui dont ils ont profité et qui s’est trouvé, par le hasard de leur naissance, exactement adapté à leur intérêt personnel. Même quand ils ont l’air de penser et d’agir, ils ne font que les gestes de l’action et de la pensée ; mais ils font ces gestes imperturbablement et ils ne font jamais qu’une espèce de gestes, et ainsi leur automatisme moral devient une force énorme et irréductible. Fantoches, mais fantoches d’une tradition qui peut avoir, elle, sa grandeur et sa raison d’être ; et c’est pourquoi il arrive à ces hommes d’offrir des apparences de politiques, d’orateurs et d’honnêtes gens. L’autorité du comte de Moellnitz et son honnêteté reconnue lui venaient de sa persistance dans