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où il avait risqué sa peau pour la poignée d’écus de son réengagement ; le retour au pays et, de nouveau, pendant trente-cinq ans, la pauvreté laborieuse jusqu’au jour où Hermann lui avait confié la garde du château. Or, Günther était résigné ; il l’avait même été avant la modeste aubaine échue à sa vieillesse. « Ce n’est peut-être pas pour être heureux que nous avons été mis sur la terre, » avait-il dit. Si c’était vrai ? Si les résignés seuls avaient raison ?

Mais leur résignation supposait un dieu-providence et la survivance personnelle des âmes. Frida n’y croyait point, et, dès lors, la foi des pauvres gens lui semblait une duperie vraiment trop forte. Elle se désolait et s’irritait en pensant à l’effroyable quantité de maux que l’attente d’une justice éternelle leur faisait accepter, aux traites lamentables tirées par la misère humaine sur un dieu qui se déroberait à l’échéance. Et, ne dût-il point se dérober, les hommes en auraient-ils moins souffert ? L’injustice et la douleur, même transitoires, gonflaient d’indignation le cœur de la jeune révoltée, et les créatures bonnes et simples qui se soumettaient, comme Günther, l’emplissaient à la fois de surprise et d’une indicible compassion.