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Et, par une démarche habituelle à sa pensée, devançant les âges, prolongeant quelques-unes des données de la réalité, négligeant les autres, Hermann songeait :

— Supposons que l’humanité tout entière ait perdu toute espèce de croyance religieuse, qu’en même temps l’énergie de ses passions se soit usée (ce que, malgré tout, on peut entrevoir déjà), qu’elle ait enfin reconnu (cela est inévitable) que l’égoïsme même est vain, et qu’elle soit revenue de l’égoïsme, comme de tout le reste, par la longue constatation de l’incapacité où il est d’assurer une vie heureuse, même aux plus forts. Alors, les hommes se diront : « Puisque nous ne savons rien, puisque nous n’avons rien à attendre et rien à espérer, puisque nous n’apparaissons un instant sur la surface d’une des plus petites planètes du système solaire que pour rentrer aussitôt dans l’éternelle nuit, arrangeons-nous pour que ce passage ne nous soit pas trop douloureux ou pour qu’il ne le soit qu’au plus petit nombre possible d’entre nous. Supportons-nous et aidons-nous mutuellement. Il est même naturel, à présent, que nous nous aimions tous les uns les autres. Car la conviction où nous sommes, tous sans exception, de notre