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ou la police, l’impatience d’un officier ou la subite folie d’un énergumène, la manifestation s’achève en émeute, et l’émeute, en révolution. Une révolution violente et totale : je vais jusqu’au bout de l’hypothèse. Or ai-je le droit de courir ce risque ?… Devançons les temps pour en bien juger… Je suppose la révolution accomplie, l’ancien ordre renversé, l’ordre nouveau établi--tant bien que mal, comme tout ordre en ce monde--sur de nouveaux principes… L’humanité y aura-t-elle perdu ? Cette société vaudra-t-elle moins que l’autre ?… Oui, il y aura eu des actes de destruction et de vengeance ; des innocents auront été massacrés ; moi-même peut-être… Mais la somme de ces crimes, que sera-t-elle, comparée à la somme des crimes silencieux, des injustices étouffées que recouvrait l’ordre ancien et par lesquels il se maintenait ?… Cette nouvelle société sera brutale, inélégante, sans arts, sans lettres, sans luxe ? Mais on peut vivre sans tout cela. Mes meilleures journées ont été celles où j’ai vécu près de la terre, dans la solitude des champs, comme un pâtre ou comme un laboureur… Et puis qui sait ? Des âmes neuves, des types d’humanité encore inédits se révéleraient peut-être… Les hommes ont