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Un grand silence enveloppait le palais. Nul bruit ne montait, ni des boulevards, ni des quais, encore déserts. Hermann en éprouva un malaise. Il songea au vaste bruit de mer déferlante que, sans doute, le peuple faisait là-bas, et qui se rapprochait à chaque seconde, et qu’on n’entendait pas encore, mais qu’on entendrait tout à l’heure. Le silence lui fut pesant, comme celui qui précède l’orage. Il marchait à grands pas, nerveusement. Parfois ses yeux rencontraient le regard immobile et noir du portrait d’Hermann II. Il lui sembla qu’un sourire ironique et méprisant pinçait les lèvres du terrible ancêtre. Alors il le regarda en face. Non, l’illustre tueur ne souriait pas. Avec une attention hostile, le prince examina cette bouche triste et dure, ce front étrangement serré aux tempes, ces mâchoires de carnassier. Et il eut un plaisir d’orgueil et de défi à penser que ce qu’il faisait serait haïssable et inintelligible au sinistre aïeul, si celui-ci pouvait lever les dalles de la chapelle des Carmélites où il reposait depuis cinq cents ans, à se dire qu’il osait, le premier, rompre une tradition tant de fois séculaire, et, fils de rois, démentir, au nom de la pitié humaine, l’impitoyable et fausse sagesse de toute une lignée de rois…