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les deux mondes, et elle n’avait rien vu que les choses du cirque.

Elle ne vivait que pour son art. La plus grande partie de ses journées était prise par son « travail », car ses exercices exigeaient un entraînement continuel. Et le sentiment de son excellence acrobatique lui donnait un immense orgueil. Sa destinée lui semblait la plus belle de toutes. Elle se sentait elle-même un poème vivant. Elle méprisait les comédiens, dont le métier est d’amuser les hommes en feignant d’être ce qu’ils ne sont pas ; elle méprisait même les clowns, qui s’enlaidissent et qui parlent. Il ressortait de ses discours qu’elle s’estimait l’égale des princesses et des impératrices. Et Renaud jugeait cela fort sensé.

Il se réjouissait de la voir si parfaitement naïve et si spéciale, si étrangement exceptionnelle. Et il se persuadait qu’en l’aimant il revenait à la nature, il se « simplifiait », selon le conseil de Tolstoï, dont il s’était récemment épris et dont il accommodait bizarrement l’évangélisme à ce qui restait en lui de manie esthétisante. Et, comme il ne pouvait songer à faire de Lollia sa maîtresse, et que, d’ailleurs, il ne le voulait point, puisqu’il l’adorait justement pour sa pureté, il résolut de l’épouser.