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et la laideur que lorsqu’il n’y avait vraiment pas moyen de faire autrement. Si, par hasard, elle découvrait, malgré elle, qu’il y avait parmi les compagnons bien des brutes méchantes, elle songeait : « Ce n’est pas leur faute, ils sont si malheureux ! » Mais elle n’était que peu exposée à ces cruelles découvertes. Car sa grâce agissait, à son insu, même sur les plus grossiers et les plus stupides : on se surveillait devant elle, on l’entourait d’égards à cause de son grand-père le martyr ; elle était populaire dans les clubs ; elle était la petite vierge charmante de la revendication sociale et elle jouissait innocemment de cette gloire.

Le monde révolutionnaire lui apparaissait donc comme une idyllique assemblée de frères. Elle croyait chaque jour davantage à la bonté des pauvres. Des théories exposées dans les clubs elle ne retenait que ce qui pouvait servir d’aliment à sa crédule générosité. Collectivisme, possibilisme, communisme, anarchisme même, elle n’était point troublée par la contradiction des doctrines : elle ne voyait que ce qu’elles avaient de commun : un rêve de société fraternelle et juste. Et ce qui la séduisait dans la cité future, c’était précisément ce qu’elle contenait de chimère morale : c’était qu’elle ne pût