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les omnibus et les tramways, de pauvres figures la faisaient longtemps rêver ; elle devinait, à l’inspection des traits et des manières et reconstituait des existences d’humble labeur et de sacrifice et, remuée par ses propres imaginations, silencieusement elle se fondait en sympathie pour ces inconnus. Et, comme, dans ces coudoiements de rue et de voiture publique, tout le monde était, à l’occasion, bon et obligeant pour elle à cause de sa grâce et de son joli visage, elle s’émerveillait de trouver le peuple si doux.

En même temps, elle s’éprenait pour Audotia d’une affection passionnée. Et, de son côté, la voyant si ingénue, si vaillante et si fragilement belle, Audotia se mettait à l’adorer. Et, dans cette tendresse, il y avait de la maternité et du respect, quelque chose des sentiments du grand prêtre pour le petit roi Joas ou d’un vieux religieux pour un jeune novice dont il attend beaucoup, comme si, en effet, la vieille socialiste eût peu à peu conçu la pensée de former Frida pour de grandes choses.

Un matin, les journaux annoncèrent la mort du prince Kariskine. Quelques jours après, Audotia dit à sa jeune amie :

— Venez avec moi ce soir.