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terminé, la rougeaude poussa brutalement Frida dans la forteresse :

— En Sibérie, la nihiliste ! En Sibérie !

L’enfant résista. Les fillettes féroces, avec une lâcheté de foule, l’envoyèrent rouler dans la neige.

— En Sibérie ! comme son grand-père !

Elles avaient su que Frida était la petite-fille du prince Kariskine. Et toutes ces petites Poméraniennes râblées, rejetons de fonctionnaires et de gendarmes, poussées d’un instinct héréditaire et excitées comme si déjà elles sauvaient, elles aussi, la société, poussaient, bousculaient l’enfant fragile, la criblaient de boules de neige méchamment pétries.

Frida ne résistait plus. Blottie contre le mur, elle attendait, avec une patience farouche, la fin de son supplice. Elle eut une minute singulière. Les yeux fermés, la tête enfouie dans son châle de laine et protégée par ses deux bras, immobile sous la mitraille de neige, elle songea qu’elle était, en effet, « comme son grand-père », qu’elle était persécutée, comme lui, parce qu’elle avait une âme différente des autres et des pensées inconnues de ceux qui forment, en tous pays, la « société régulière ». Elle s’exaltait dans un sombre orgueil. Une insurgée