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nom ». Notez que, si la morale double est, en effet, dans la plupart des cas, l’invention commode et l’expression du scepticisme, elle se peut parfaitement allier avec la croyance en un Dieu qui se soucie de certains hommes, choisis par lui pour de grands desseins, au point de conclure avec eux, même en morale, des pactes spéciaux. Il est à remarquer que, dès sa seconde entrevue avec M. Duruy, l’empereur Napoléon III ait soutenu contre lui la théorie des « hommes providentiels », exposée dans la préface de la Vie de César. Évidemment, c’était là une de ses pensées habituelles et chères. M. Duruy la combattit avec une respectueuse vigueur ; mais l’empereur ne se rendit point et maintint le passage, ainsi qu’un autre où il expliquait qu’en certains cas on peut légitimement violer la légalité. « On fait quelquefois ces choses-là, avait dit M. Duruy, mais il vaut mieux ne pas les rappeler. »

L’empereur souffrait ces franchises, et n’en pensait — ou n’en songeait pas moins ; car il me paraît avoir songé sa vie plus qu’il ne l’a vécue. L’épopée de son oncle, l’étrangeté merveilleuse de sa propre aventure, lui étaient une sorte d’opium, d’autant mieux qu’il avait été extraordinairement servi par les circonstances, qu’on avait beaucoup agi pour lui et qu’il avait passé d’une extrémité de fortune à l’autre sans être proprement un homme d’action. Les yeux toujours à demi clos, il ruminait confusément l’affranchissement des nationalités, l’établisse-