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Seine : il me semble que je vais retrouver là l’horrible hiver de l’an passé. Ici, on oublie tout, on se plaint par genre, mais sans amertume ; on dort, on mange, on n’entend point de sonnette. On s’éveille pour dire : « Va-t-on déjeuner ? » On se promène à âne et on rentre bien vite pour demander : « Va-t-on dîner ? » Il y a des fleurs, des herbes, des senteurs de vie qui vous inondent malgré vous-même ; il y a une atmosphère d’insouciance qui vous berce et vous rend tout facile, même la souffrance. Que n’es-tu là ? Tu prendrais ta part de tant de biens ! Tu nous aiderais à traduire Horace dans un style élégant et philosophique comme celui-ci :

    Cueillons le jour. Buvons l’heure qui coule ;
  Ne perdons pas de temps à nous laver les mains :
  Hâtons-nous d’admirer le pigeon qui roucoule,
       Car nous le mangerons demain.

« Ne fais pas attention au pluriel rimant avec un singulier ; c’est une licence que la douceur de la température nous fait admettre. Nous devenons de véritables Angevins : molles, comme dit César (ou un autre). »

Cela est vraiment joli ; et j’y reconnais la trace des leçons latines de Sainte-Beuve. Je songe avec plaisir que, en se livrant à ce badinage presque savant, la jeune Mme Langlais se revoyait dans le pensionnat de la rue de Chaillot, le front penché auprès de celui de Joseph Delorme, sur un volume d’Horace.