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me paraît de toute évidence que le second Tartuffe, l’homme du monde, l’homme d’esprit, l’aventurier de haut vol, ne croit ni à Dieu ni à diable. Ou je ne sais pas lire, ou ces vers, par exemple :

  Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
  Mais on trouve avec lui des accommodements.
  Selon divers besoins, il est une science
  D’étendre les liens de notre conscience,
  Et de rectifier le mal de l’action
  Avec la pureté de notre intention,

ne peuvent être que d’un terrible pince-sans-rire et d’un railleur raffiné et hardi.

La conclusion, c’est que le comédien est fort embarrassé. Il faut choisir entre trois partis : ou représenter le premier Tartuffe, ou représenter le second, ou essayer de réaliser un Tartuffe mitoyen ; car, de « fondre » les deux l’un dans l’autre, il n’y faut guère songer.

Or, si le comédien joue le premier Tartuffe, il fera rire ; mais l’action de la pièce deviendra totalement absurde. (Vous me direz : Qui s’en apercevra ?) S’il joue le second, la pièce redeviendra raisonnable ; mais alors, on ne comprendra plus du tout le portrait qui nous a été fait de Tartuffe avant son apparition. Le public sera dépaysé, lui qui ne voit Tartuffe que sous les espèces d’un bedeau gras, rouge et libidineux ; et l’acteur ne fera pas rire, et il devra, j’en ai peur, renoncer à la douceur des applaudissements.