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Et sans doute, dans son tête-à-tête avec Elmire, il débute assez lourdement par l’emploi du « jargon de la dévotion » ; mais, insensiblement, il sait tourner ce jargon en caresse, et le rapproche enfin de la langue vaguement idéaliste que l’amour devait parler, cent cinquante ans après Molière, dans des poésies et romans romanesques et qui a plu si longtemps aux femmes… Mais, en outre, il a de la finesse et de l’esprit, et des ironies, et des airs détachés qui sentent leur homme supérieur et qui sont d’un véritable artiste en corruption. Et, à sa deuxième rencontre, quand il veut lever les scrupules d’Elmire, la jolie leçon de casuistique, leçon qui semble une dérision préméditée et presque une « blague » de la casuistique même ! Ce Tartuffe-là ressemble à quelque abbé italien tortueux et élégant, athée, moqueur et sensuel, et qui se complaît, avec une grâce perverse, à ôter à demi son masque.

À ce propos, vous savez qu’on s’est demandé si Tartuffe avait la foi. La question eût semblé étrange à Molière. Si Tartuffe « croyait », il serait un pharisien, il ne serait pas un « imposteur », et Molière ne lui aurait pas donné ce nom. Mais, à supposer même que l’auteur n’eût pas assez signifié sa pensée sur ce point, il faudrait ici distinguer. Pour le premier Tartuffe, le bedeau, la brute, méchant, mais stupide, dénué d’esprit critique et incapable de se connaître lui-même, on peut admettre à la rigueur qu’il ait la foi, — la foi d’un abominable charbonnier. Mais il