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beaucoup, même pour des causes chétives et frivoles. Que sera-ce quand la cause est sublime, et quand les témoins sont tout un peuple en face duquel on confesse Dieu ! Peut-être aussi y a-t-il un degré de douleur physique qui ne peut être dépassé, au delà duquel la souffrance s’anéantit. Notre système nerveux est un indéchiffrable mystère. M. Homais comparerait les martyrs chrétiens à ces Aissaouas qui, apparemment, au bout d’une demi-heure de hurlements rythmés et de balancements de tête au-dessus d’un brasier, ne sentent plus. M. Jules Barbier, dans son avant-dernière scène, met bravement cette note de couleur scientifique, un peu inattendue dans une tragédie chrétienne : « Ponticus complètement anesthésié ». Corneille n’eût pas songé à appliquer cette épithète à Polyeucte. — Enfin, ivresse de publicité, entraînement, anesthésie, — et aussi amour de Dieu et attente d’un bonheur infini, — vous avez le choix entre ces explications, ou vous les pouvez prendre toutes ensemble. Les croyants en proposent encore une autre, qui est la grâce divine.

Mais vous entrevoyez combien il était malaisé au poète de prolonger durant deux actes cette lutte pour le martyre, ce renchérissement ininterrompu dans le plus surprenant héroïsme, et d’en soutenir sans défaillance l’écrasant crescendo. Comment faire parler ces âmes, toutes parvenues au dernier point de tension morale ? Le seul tort de M. Jules Barbier, c’est d’avoir conçu un sujet où le poète était obligé