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lettrés, et qui peut-être composaient de petits vers, faisaient « questionner » des misérables sous leurs yeux ; que l’on venait en foule voir « rouer » en place de Grève ; qu’aujourd’hui encore, des chevaux éventrés par un taureau, lui-même tout ruisselant sous les flèches des banderilles, forment un spectacle délicieux pour des gens qui sont cependant nos frères, et qu’enfin il se rencontre des personnes distinguées pour aller voir guillotiner sans y être obligées professionnellement. Oui, je sais que la vieille humanité est abominable et que, dans le fond, elle aime le sang et la souffrance d’autrui. Toutefois, si la bête féroce n’est pas morte en elle et n’y est qu’endormie, ne peut-on pas dire que ses réveils se sont quelque peu espacés de notre temps, et que, s’il n’y a peut-être pas moins de cruauté latente dans l’âme des foules, il y en a moins de déclarée dans les lois et dans les mœurs ? Le peuple n’a presque assassiné personne depuis vingt-sept ans. La bête humaine, si la prévoyance des législations s’appliquait de plus en plus à la sevrer de sang, finirait peut-être par en perdre un peu le goût. Et je crois, je veux croire qu’aujourd’hui déjà cette idée d’une multitude en fête réunie dans un cirque pour voir déchirer et brûler, parmi d’affreux hurlements, des chairs vivantes, serait intolérable et presque inconcevable à une assez imposante minorité d’âmes douces.

De là, pour le farouche auteur de Blandine, une première difficulté. Il inscrit, en tête de son œuvre,